Le glue work : ce travail invisible qui fait tenir les équipes
- José PEREZ GABARRON

- 6 juin 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 oct.

Certaines personnes semblent faire briller les équipes sans jamais chercher la lumière.Elles coordonnent, rassurent, fluidifient. Elles anticipent les tensions, réparent les malentendus et font en sorte que tout fonctionne — souvent sans que personne ne s’en rende compte.Ce travail discret porte un nom : le glue work, littéralement, “le travail de colle”.
Souvent ignoré, rarement reconnu, mais toujours essentiel, il est au cœur de la cohésion et de la performance collective.
Comprendre ce que recouvre le travail invisible
Le glue work désigne l’ensemble des tâches informelles, non techniques et non reconnues officiellement, qui permettent aux équipes de collaborer efficacement. Cela inclut :
la coordination entre services ;
la préparation de réunions pour éviter la confusion ;
la médiation entre collègues ;
l’accueil et l’intégration des nouveaux arrivants ;
le mentoring et le soutien émotionnel ;
la diffusion des informations pour éviter les silos.
Ces gestes ne figurent dans aucune fiche de poste. Pourtant, sans eux, la machine organisationnelle se grippe.
Une étude du MIT Sloan Management Review (2022) révèle que les équipes où le travail invisible est reconnu présentent 27 % de satisfaction en plus et 18 % de turnover en moins. C’est dire combien cette “colle sociale” est déterminante pour la santé d’une organisation.
Un travail de cohésion rarement reconnu
Le paradoxe du glue work est qu’il est indispensable mais non mesurable.
Parce qu’il ne produit pas de résultats tangibles — ni chiffre d’affaires, ni livrables visibles — il échappe aux indicateurs de performance classiques.
Dans de nombreuses entreprises, ce travail de cohésion se dilue dans la routine : il n’apparaît ni dans les objectifs, ni dans les entretiens annuels, ni dans les promotions.
Résultat : les personnes qui investissent leur temps et leur énergie dans ce rôle se sentent souvent sous-évaluées, voire épuisées par une charge émotionnelle non reconnue.
L’absence de reconnaissance du glue work entraîne une double perte :
humaine, car elle démotive et fragilise les collaborateurs les plus engagés ;
organisationnelle, car elle prive les entreprises d’un levier puissant de cohésion et de rétention.
Pourquoi le glue work touche davantage les femmes
De nombreuses recherches montrent que le travail invisible repose de manière disproportionnée sur les femmes. Selon une étude de la Carnegie Mellon University (Babcock et al., 2017), les femmes sont 48 % plus susceptibles que les hommes de se porter volontaires pour des tâches non promues : organiser des réunions, prendre des notes, accueillir les nouveaux, ou gérer les conflits.
Ces comportements découlent d’un conditionnement culturel plus que d’un choix. Les femmes sont socialement encouragées à adopter des attitudes de soin, d’écoute et de coopération. Mais ces qualités, pourtant essentielles à la performance collective, ne sont pas récompensées à la hauteur de leur impact.
Ainsi, le glue work renforce un cercle vicieux :
les femmes assument la charge relationnelle et émotionnelle du groupe ;
ce travail n’est pas valorisé ;
leur progression de carrière est ralentie.
Le résultat est une invisibilisation structurelle qui nourrit les inégalités professionnelles.
Le coût du travail invisible pour les entreprises
Ne pas reconnaître le glue work a un coût élevé. Une enquête de McKinsey & Company (2023) indique que 63 % des salariés estiment que la charge émotionnelle et relationnelle qu’ils assument n’est pas valorisée. Ce sentiment d’injustice fragilise la motivation et augmente les risques de désengagement.
Les impacts sont multiples :
baisse de la productivité liée à un climat moins coopératif ;
perte de talents clés (souvent ceux qui assument le plus de glue work) ;
affaiblissement du sentiment d’appartenance et du lien social ;
déséquilibre de genre dans les postes à responsabilité.
À long terme, l’entreprise paie un prix silencieux : la dégradation du climat collectif, plus coûteuse encore que les erreurs de gestion.
Comment reconnaître et valoriser le glue work
Pour rendre justice à ce travail invisible, les entreprises peuvent agir à plusieurs niveaux.
1. Intégrer le travail de cohésion dans les évaluations
Les critères de performance doivent inclure la contribution au collectif : mentoring, communication, entraide, coordination. Certaines entreprises, comme Atlassian ou Slack, ont déjà intégré des indicateurs de team glue dans leurs revues de performance (Forbes, 2023).
2. Former les managers à l’observation relationnelle
Les leaders doivent apprendre à repérer ces efforts invisibles, à les nommer, à les valoriser publiquement. Un simple “merci” ne suffit pas : il s’agit d’un changement culturel, où la coopération devient une valeur stratégique.
3. Créer une culture d’équité émotionnelle
Répartir plus équitablement les tâches relationnelles évite la surcharge d’une minorité. Encourager les hommes à prendre aussi leur part du glue work est une démarche d’inclusion et de justice.
4. Donner une visibilité institutionnelle
Mettre en avant ce travail dans les newsletters internes, les bilans d’équipe ou les événements de reconnaissance contribue à légitimer son importance.
Vers une nouvelle éthique du travail collectif
Reconnaître le glue work, c’est dépasser une vision purement productiviste du travail.C’est admettre que les relations humaines, l’écoute et le soutien mutuel sont des facteurs de performance aussi tangibles que la technique ou la stratégie.
Les entreprises qui valorisent ces compétences dites “invisibles” bâtissent des environnements plus résilients, plus inclusifs et plus durables.
Elles encouragent un modèle où la réussite ne repose pas sur quelques héros visibles, mais sur une intelligence collective partagée.
Le glue work n’est pas une tâche mineure : c’est le tissu vivant du collectif.
Et dans un monde du travail en mutation rapide, ce tissu mérite enfin d’être reconnu comme une compétence stratégique.
Références et sources
Reilly, T. (2019). Being Glue. Noops Level Up.
Babcock, L., Recalde, M. P., Vesterlund, L., & Weingart, L. (2017). Gender Differences in Accepting and Receiving Requests for Tasks with Low Promotability. American Economic Review.
MIT Sloan Management Review (2022). Invisible Work and the Cost of Misrecognition.
McKinsey & Company (2023). Women in the Workplace Report.
Forbes (2023). The Hidden Work that Makes Teams Thrive.
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